La relation sino-serbe : une coopération stratégique en Europe
Le 8 mai 2024, le président Xi Jinping s’est rendu en Serbie pour sa deuxième visite d’État. La venue du président chinois souligne l’importance stratégique que la Serbie occupe aujourd’hui dans sa politique sur le continent. Elle a été l’occasion de renforcer leur partenariat économique et d’afficher leur alignement géopolitique.
La Serbie, un pays historiquement orienté vers les puissances extérieures
La Serbie a toujours entretenu des relations importantes avec les grandes puissances avoisinantes. Ces relations extérieures se basaient sur la recherche d’une « figure protectrice ». En effet, carrefour entre plusieurs continents, ce territoire a connu la domination de plusieurs grands empires par le passé. Ainsi, les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Union européenne (UE) constituent des partenaires majeurs de la Serbie. Durant son mandat, le président Tadić (2004-2012) les a d’ailleurs définis comme les quatre piliers de la politique extérieure serbe. Aujourd’hui, de par sa position géographique stratégique et l’instabilité des autres acteurs balkaniques, elle est le partenaire privilégié d’un acteur qui investit massivement dans la région : la Chine.
Cela se base sur le potentiel d’un partenariat ancien. En effet, la Chine entretenait des relations diplomatiques et économiques proches avec la Serbie au XXe siècle. Belgrade a reconnu la République populaire de Chine le jour même de sa proclamation, le 1er octobre 1949. De plus, la Yougoslavie fut le premier État européen à officialiser une relation diplomatique avec la Chine en 1955. Les objectifs politiques communs et la mise en place d’initiatives économiques (visas pour travailleurs chinois en Serbie) et politiques (mouvement des non-alignés) ont permis d’asseoir une relation solide entre la Chine et la Serbie.
Des intérêts économiques et stratégiques pour la Chine…
Aujourd’hui, cette relation connaît un regain certain. Depuis plusieurs années, la Serbie jouit des investissements chinois importants qui ne nécessitent pas d’engagements en faveur des droits de l’homme et de l’État de droit, à l’inverse des prêts de l’UE. Les deux États constituent, l’un pour l’autre, des partenaires stratégiques de taille. La Serbie, tout d’abord, a une position géo-stratégique dans le projet des routes de la Soie de Pékin. Elle constitue un carrefour entre l’Europe et l’Asie. La Chine a ainsi investi dans de nombreux projets d’infrastructures de transport, notamment la ligne ferroviaire Land Sea Express reliant Belgrade à la Grèce et à la Hongrie. La Chine a également renforcé sa présence en Serbie par le rachat d’entreprises stratégiques, comme des mines de cuivre.
…Et pour la Serbie.
Par conséquent, la Serbie bénéficie d’investissements chinois dans de nombreux domaines : les transports, l’industrie, le traitement des eaux, la technologie. L’État a ainsi développé son réseau d’autoroutes nationales et a amélioré les services de transports belgradois (métro de Belgrade). De plus, l’autoroute Belgrade – Bar (côte monténégrine), financée par la Chine, pallie l’enclavement territorial que connaît la Serbie depuis l’indépendance du Monténégro en 2006.
La Serbie est le premier partenaire de libre-échange de la Chine en Europe centrale et orientale. En 2023, la Chine a été la première source d’investissements étrangers de la Serbie et son deuxième partenaire commercial. La visite d’État chinoise a approfondi cette coopération, avec la signature de 28 accords économiques. Cet afflux économique est utilisé comme outil de politique intérieure par le gouvernement serbe. En effet, les rachats d’entreprises stratégiques en faillite, la possibilité de sauver des emplois locaux ainsi que la modernisation d’infrastructures énergétiques et sanitaires sont autant de critères utilisés pour promouvoir le parti présidentiel. Le rachat de l’aciérie de Smederevo, en faillite, devenue l’une des trois plus grandes entreprises exportatrices de Serbie, en est la vitrine. Ces effets sont cependant à nuancer car beaucoup d’entreprises rachetées emploient des ressortissants chinois, ne préservant donc pas les emplois locaux. Les projets chinois représentent, par ailleurs, une grande source de pollution.
Qui se traduisent par une volonté d’alignement géopolitique…
Le 8 mai dernier, Aleksandar Vučić a réitéré son soutien à la politique d’une seule Chine de Pékin. Le Président a affirmé “Oui, Taiwan est la Chine” à l’heure d’une hausse de tensions dans la région. Cette position fait écho au soutien indéfectible de Pékin sur la question de la reconnaissance du Kosovo. Cependant, ce rapprochement géopolitique nourrit la crainte d’une influence chinoise croissante en Europe, notamment dans l’UE. En effet, la Serbie est candidate à l’intégration à l’UE depuis 2009. La date choisie pour la deuxième venue de Xi Jinping en Serbie n’a, par ailleurs, pas été choisie au hasard. En effet, elle signe l’anniversaire du bombardement de l’ambassade chinoise par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en 1999. Cet épisode avait créé de fortes tensions entre les ressortissants chinois et les ambassades américaines partout dans le monde. Aujourd’hui, on observe qu’il est utilisé comme outil de rapprochement entre les deux États. Il sert également à positionner la relation sino-serbe comme alternative à ses alliés occidentaux.
Sources :
Troude, A. (2006). Géopolitique de la Serbie. Edition Ellipses.